Extrait 1 – Premiers pas dans la TSF

Chapitre 02 : le Monsieur dans le poste

 

[Contexte : nous sommes à la fin des années cinquante, l'auteur a 8 ans et doit se débrouiller seul pour découvrir et comprendre comment cette voix peut bien sortir du meuble radio de ses grands-parents...]

La première fois que j’ai entendu le son d’une voix sortir de la TSF (un poste à l’esthétique baptisée « à oreilles »), je fus pétrifié. Le peu de repères que j’avais concernant les éléments concrets de la science s’évanouirent instantanément et firent place à un grand vide ; j’en conclus que la magie n’était donc sans doute pas qu’illusion.
Bon, le vide ça se comble, aussi me repris-je en main et abandonnai définitivement l’art inférieur du dessin électrique pour me pencher sur celui du Monsieur qui se cache dans le poste.
J’ai harcelé mon grand-père de questions basiques et pourtant essentielles. La seule réponse tangible dont je me souviens est que je commençais à lui échauffer les oreilles en l’empêchant d’écouter les informations et que si ça continuait il dirait au Monsieur du poste de s’occuper de moi. Vu la voix grave du speaker, je redoutai le pire.
Alors j’ai essayé de comprendre tout seul. Comme d’hab. !
D’abord en observant attentivement ce poste, placé sur un meuble spécial, entièrement dédié à cet usage sur lequel on était prié de ne rien poser d’autre et d’éviter de s’en approcher, compte tenu du fameux danger électrique et de la fragilité – sans doute proportionnelle au budget déboursé – de la chose.
Ma grand-mère, comme la plupart des mamies, me chérissait plus que de raison et avait obtenu, elle, le droit de poser sur la TSF un cadre affichant une photo de ma binette de quand j’étais tout petit. Ce passe-droit me surprit, même si je détestais cette photo de gamin pas fini.
Au cours des jours qui suivirent, j’observai un étrange comportement chez mon grand-père, dès qu’il allumait la TSF. Avant tout, il s’équipait de sa pipe, sa blague à tabac et d’une couverture pour ses jambes. Ensuite il prenait place dans son fauteuil en cuir tout mâché, face à la radio, comme s’il pouvait ou voulait voir le visage de celui qui débitait les nouvelles du soir. Il demandait à ma grand-mère de faire moins de bruit, même si à ce moment elle n’émettait aucune nuisance sonore, histoire de l’avertir de ce qui l’attendrait si elle perturbait le cérémonial.
De mon côté, j’étais à genoux sur le tapis du sol et j’attendais la suite, en silence, cela va de soi.
Dès que tout était en place, et que le speaker commençait à articuler le contenu de ses dépêches d’une voix inquiétante et assez monocorde, le son se masquait parfois d’une espèce de grésillement situé entre un ronflement régulier et une sorte de sifflement strident rendant le message sonore relativement incompréhensible.
Bizarrement, mon grand-père ne se mettait pas à hurler ; il se levait de son fauteuil et bougeait la position du cadre où se trouvait ma photo et semblait trifouiller quelque chose placée à l’arrière de ce dernier. Parfois, les sifflements s’estompaient brutalement, parfois, au contraire ils augmentaient d’intensité. Après quelques tâtonnements, le son redevenait normal. Sauf qu’on ne voyait plus la photo, le cadre étant de travers. Ce que ma grand-mère, le lendemain, rectifiait en le repositionnant correctement, c’est-à-dire face au regard éventuel de qui souhaiterait s’intéresser à ma trombine.
Je cherchais en vain une explication rationnelle du lien possible entre ma photo, la position du cadre et la voix claire ou brouillée du Monsieur qui cause dans le poste.
J’eus beau me démener la cervelle en y centralisant mes neurones en voie de construction, je n’y détectai rien de logique et je me rangeai provisoirement derrière le concept de la magie ou de la bonne fée, mais avec un gros doute, suite au précédent bobard qu’on m’avait déjà monté durant des années avec l’histoire du Père Noël dans la cheminée.
Un matin que mon grand-père sortit tôt pour aider un voisin à je ne sais quelle tâche, j’avalai rapidement mon Ovomaltine et me mis en tête de découvrir le secret du poste TSF.
Mon crayon à papier en main, je dessinai grossièrement le meuble, puis la TSF elle-même et, enfin, le cadre. En passant derrière l’ensemble je risquai un regard craintif mais appuyé au travers des minuscules trous de la face arrière cartonnée du poste. Sans doute l’inquiétude enfouie d’y découvrir le Monsieur qui se préparait à me corriger pour cette curiosité… On n’y voyait rien, il aurait fallu la lampe torche.
Je me mis à recenser chaque fil qui sortait de la TSF : celui-là va vers la prise de courant récemment installée ; tiens, celui-ci va vers l’arrière du cadre, quelle bizarrerie… Et un dernier, tout fin, que je suivis de la main : il longeait la plinthe jusqu’à l’entrée de la cuisine, pour finalement se retrouver attaché au tuyau d’eau sortant vers le jardin. En revenant près du cadre je remarquai à l’arrière qu’il disposait de deux boutons : voilà enfin une explication sur l’attention que portait mon grand-père sur le revers de ma photo ! Un autre fil, assez fin, sortait du cadre et rasait le mur vers le haut. En levant les yeux, je découvris une espèce de ressort à boudin d’une grande longueur qui traversait de part en part le plafond de la salle à manger. Je ne l’avais jamais remarqué, mais il faut dire qu’il était situé à proximité du ruban tue-mouche, tout collant, qui « ornait » le ciel de la maison et auquel j’étais habitué.
J’avais engrangé suffisamment d’observations pour m’occuper quelque temps et tenter de répondre aux nouvelles interrogations suscitées par cette exploration.
Pendant les semaines qui suivirent, ayant réintégré l’appartement parisien du treizième arrondissement, j’eus tout le loisir de mettre mes dessins à plat, de les reprendre au propre et de réfléchir intensément…

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