Extrait 2 – Enfance rebelle

Chapitre 07 : la vengeance du train électrique

 

[Contexte : après avoir imaginé, plus que compris, comment les sons sortaient de la TSF de mon grand-père, mon enfance reprit ses droits, ses joies et petites peines. En ce Noël, mon rêve de posséder un train électrique se réalisa, mais fut aussi à l'origine de ma première vraie rébellion en solitaire.]

A onze ans, je passai en sixième, au collège situé quasiment en face de chez nous. Pour me récompenser de cette « performance », le Noël suivant fut l’un des plus beaux de ma jeunesse : un train électrique. Rien qu’avec le mot « électrique » j’étais déjà comblé ! Il s’agissait d’un modèle basique de chez Jouef, avec une locomotive-tender de triage, un wagon tombereau et un wagon citerne de carburant SHELL.
Le circuit fermé ne comportait pas de lignes droites ni d’aiguillages, mais au cours des semaines qui suivirent, Paul se chargea d’améliorer le réseau en achetant discrètement – donc sans en parler à ma mère – des rails supplémentaires.
Ce jouet devint passionnel et j’y consacrai tout mon temps libre. Mais des nuages vinrent soudain ternir mon avenir ferroviaire. Depuis quelques jours, la voisine d’en face, d’un abord peu sympathique, vivant seule, se plaignait à qui voulait l’entendre que sa télévision était brouillée l’après-midi et que ça lui pourrissait la vie. Paul, toujours prêt à rendre service, se rendit chez elle et constata en effet des striures et moirages sur l’écran. Il ne mit pas longtemps pour faire le rapprochement avec le fonctionnement du train électrique, véritable générateur de parasites dès que la loco avançait sur le rail.

Les téléviseurs de l’immeuble ne bénéficiaient pas encore d’une antenne collective de réception. Chacun se débrouillait. Chez nous, c’était simple, les toits qui s’étendaient au ras de nos fenêtres permettaient un accès sans encombre, juste en franchissant le garde-corps.
On y avait fixé grossièrement un râteau et la télé s’en satisfaisait parfaitement et ignorait totalement mon train. Chez la voisine râleuse d’en face, la configuration ne permettait pas d’y installer une antenne extérieure sans intervention d’un homme de l’art. Donc, une antenne dite « intérieure » (très courante à cette époque) et très rudimentaire, trônait sur le récepteur, bien orientée vers notre logement malencontreusement situé sur le trajet des ondes audiovisuelles et, par voie de conséquence, sur le chemin du réseau ferré nouvellement en place.
Une fois le diagnostic établi et connu de la mégère, elle ne voulut rien savoir et déclina tout arrangement consistant, par exemple, à restreindre mon emploi du temps de chef de gare aux heures où Madame n’était pas collée devant sa télé. Elle balaya net tout espoir de conciliation avec la menace ultime et définitive : « Si ça continue, je préviens le propriétaire ».
Les rapports avec celui qui possédait les appartements, mais se gardait bien d’en entretenir les parties communes, étaient déjà tendus probablement faute d’une régularité suffisante dans le règlement du loyer. Mes parents prirent peur et mon train électrique dut rejoindre le dépôt, dans sa boîte d’origine, pour une durée indéterminée.
Je me souviens avoir fondu en larmes autant pour la privation de mon jouet favori que par l’injustice de la décision et de la méchanceté de la voisine. Je ne parvenais pas à me remettre de cette situation et j’envisageai une terrible vengeance.

La colère est une motivation puissante : avec les copains de classe intéressés comme moi par les techniques et les expériences électriques, on échangeait beaucoup pendant les récrés ; après avoir raconté ma mésaventure, je fis savoir que je cherchais un moyen d’embêter ma voisine, sans qu’elle puisse savoir que ça venait de chez moi.
Quelques jours plus tard, mon complice d’alors me rapporta une coupure d’un magazine détaillant un appareil à fabriquer des parasites, qu’il avait trouvé dans le garage où bricolait son père. Pourquoi un auteur avait-il écrit cela ? mystère, mais je me suis mis à l’admirer, au fur et à mesure de la découverte de l’invention.
Le système réclamait des précautions et personne n’oserait écrire un truc pareil de nos jours !
Etant souvent seul à la maison, je pris la boîte à outils de Paul et me mis au travail.
L’article précisait : « Rassembler une râpe à bois, un tournevis plat avec un manche isolé en bois et un appareil ménager qui consomme beaucoup : l’idéal étant le fer à repasser ».
Tout était disponible !

Retrouvez la suite et bien davantage au sein de l'ouvrage...

© DTDPC - Daniel Werbrouck - 2019