Extrait 4 – La vie active

Chapitre 35 : free-lance

 

[Contexte : mon diplôme en poche, après une première expérience au laboratoire d'étude de l'entreprise Schlumberger, je trouve ma voie : la radiodiffusion. Je suis embauché à RTL. J'apprends vite et je découvre toutes les astuces de l'audio et de la maintenance professionnelle des consoles de mixage et des enregistreurs magnétiques. Puis on me charge de m’occuper de la technique des émissions extérieures.]

RTL commençait à me peser ; j’avais fait le tour des connaissances à acquérir, de l’ensemble des matériels disponibles sur le marché de la radio professionnelle et les extérieurs ne m’apportaient plus le piment recherché de la nouveauté et du danger. Tout était bien rôdé, j’avais pris mes marques, mon rythme, mes contacts, mes équipements. De quoi presque m’ennuyer.
Ce qui m’attirait, c’était de passer du côté de la prise de son. Du dessous de la console au-dessus des manettes de commande. Je pratiquais déjà un peu ce métier lors des émissions extérieures, mais je souhaitais aller plus loin et m’investir dans l’exploitation et l’apprentissage des méthodes de captation et d’enregistrement sonore.
J’en fis part à mon chef de service qui balaya mon souhait d’un niet absolu. A RTL, les techniciens d’exploitation ne sont pas des techniciens de maintenance. Pas pour un problème d’éthique ou de compétences, mais de corporatisme. Je devais comprendre dans ce mot : pour cause de blocage syndical. Ces derniers s’arrangeaient en effet pour promouvoir leurs poulains et n’acceptaient pas les passerelles interservices.
Ici non plus, je n’avais pas souhaité m’engager ni politiquement ni au sein d’une cellule syndicale, ce qui revenait souvent au même. Je jugeais cela totalement déplacé compte tenu de nos situations de salariés ultra privilégiés, nos métiers passion, notre treizième mois, notre prime de vacances, sans omettre l’intéressement annuel aux bénéfices et un dialogue social ouvert avec l’employeur.
Ayant déjà donné dans l’étroitesse des dialogues possibles avec les représentants syndicaux, je n’avais pas envie de me prendre la tête à nouveau pour défendre un bon sens ordinaire.
Je restai donc à ma place, mais avec un horizon que j’estimais des plus encombrés.
Malgré les conseils avisés de mes collègues, ma nature reprit ses droits et je décidai de quitter RTL, après quatre années professionnelles extraordinaires.
Ma démission fut effective au 16 févier 74.
J’avais vingt-trois ans.
Pendant ma période de préavis, je n’avais pas réfléchi à identifier un autre employeur à temps plein, car je savais pertinemment que tous mes clients « extra » seraient très heureux de me voir plus souvent.
J’étais devenu un bon spécialiste des régies techniques de studio et je possédais un certain feeling pour aligner les magnétophones à bande. Avec l’objectif que les enregistrements gardent la brillance et la chaleur des sonorités fournies par le microphone électrostatique Neumann U67, à lampe, dont tous les studios et cabines speaker étaient équipés, sous peine de ne pas avoir de clients ! Je modifiais les étages d’entrée des consoles de prise de son, pour en relever légèrement la partie supérieure du spectre, tout en conservant la plage dynamique, afin que ce micro puisse s’exprimer à la hauteur de ses qualités.

Les publicitaires employaient, pour les foires et salons, de grands murs d’images élaborés à partir de quatre, huit ou seize projecteurs de diapositives synchronisés : ce fut l’heure de gloire du Kodak Carrousel adopté par l’ensemble de la profession.
Le déclenchement et l’enchaînement des diapositives s’effectuaient sur une commande électrique. Ces grands-messes étaient évidemment accompagnées d’un programme sonore souvent très élaboré, diffusé à partir d’un magnétophone. On utilisait une piste de l’enregistreur pour « toper » la bande au rythme du changement souhaité des diapositives d’un groupe de projecteurs. Avec seize projecteurs, ça devenait coton à gérer tant sur le plan de l’exploitation que sur celui de la fiabilité… Le fonctionnement étant de type séquentiel et au fil de l’eau, si un projecteur ratait un « top », son image se décalait d’une diapo… Ce retard perdurant jusqu’à la fin du spectacle ! On imaginait l’effet sur l’écran, produit par ce mouton noir défigurant totalement l’effet artistique recherché par les concepteurs !
Il fallait que tout soit aligné à la perfection, au niveau des fréquences et des filtres de bande. Et les machines à toper du marché n’étaient pas des flèches en la matière. Conçues et fabriquées par des spécialistes de l’image, il en manquait un bout…

Un soir de catastrophe lors d’un défilé de mode où les diapos se mirent à se déclencher suivant une logique étrangère au réalisateur, le patron de la boîte qui avait dû se faire bien remonter les bretelles par son client, me demanda si je ne pouvais pas imaginer un topeur professionnel et multistandard afin d’en finir une fois pour toute avec le ridicule.
L’idée me parut séduisante.
Comme toujours je m’y consacrai à fond, sans regarder autour. Après une semaine de dessins et schémas, je proposai un concept à mon client accompagné d’un prix pas vraiment en rapport avec celui des équipements du marché. Mais j’imaginais les choses en pro, donc avec des composants fiables et un châssis métallique, des connecteurs solides et non une coque en plastique avec des fiches DIN. Sur le moment, il tiqua. Puis, devant réfléchir à la perte subie lors de sa dernière prestation ratée, il me donna le feu vert en me faisant jurer que l’appareil serait fiable. Je jurai…
C’est alors que mon appartement se transforma en atelier de fabrication ! Usinage de la mécanique, percement des circuits imprimés sous-traités, câblage, batterie d’équipements de mesure achetés d’occasion dans une société en faillite, il ne manquait rien.

Un mois plus tard – mais beaucoup plus que 4,33 x 40 heures – le prototype du multi-topeur universel de chez Werbrouck était né. Avec une belle face avant sérigraphiée, des tas de commandes pour choisir les fréquences, les niveaux et les durées, plus un système d’analyse des niveaux garantissant que la bande était enregistrée correctement.
Le boss de l’agence regarda l’appareil avec surprise et un brin d’admiration, car ça ne ressemblait pas du tout à ce qu’il connaissait. Si ça ne marchait pas, il en aurait au moins pour son argent côté présentation !
Je le mis à l’aise en lui proposant de former son technicien d’exploitation à l’usage de l’appareil et de le lui laisser un mois en test. S’il était satisfait, je lui en fabriquerais un modèle définitif.

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© DTDPC - Daniel Werbrouck - 2019