Extrait 7 – Les radios périphériques sur la FM

Chapitre 62 : Les radios périphériques sur la FM

 

[Contexte : quatre années après la "libération" de la bande FM, la dure loi de la réalité économique s'imposa. Les trois radios périphériques des grandes ondes l’avaient toujours mauvaise d'avoir été écartées de la FM et n'eurent de cesse de travailler au corps les plus hautes instances du pays ...]

Le doux rêve d’une FM libérée, financée d’une part avec de l’amour et de l’eau fraîche et d’autre part à l’aide de subventions d’état, avait du plomb dans l’aile. Quatre années après que les pionniers cools et porteurs de messages magnanimes et philanthropes aient tenté de fédérer la bande VHF, ils se retrouvèrent fort démunis lorsque les bénévoles se firent plus rares et que les corbeaux ailés de papier monnaie débarquèrent sur leur planète FM.

Ces associations à but non lucratif succombèrent rapidement aux mille feux brillants des offres financières des magnats de la communication, sans vraiment résister, usées par ces années de vaches maigres que la seule idéologie de liberté ne suffisait plus à nourrir.
Elles lâchèrent prise une à une, vendant ainsi virtuellement leur fréquence et leur âme aux puissants réseaux en construction, dont l’appétit ne put se rassasier qu’après avoir dévoré ces énormes parts d’un gâteau négocié à vil prix.
Le commerce avait eu raison des petits joueurs et les nouvelles stations se maillèrent pour donner naissance à des structures parfaitement organisées, financées et rompues aux techniques radiophoniques.

Ce changement de cap fit réagir les trois radios périphériques, jusque-là interdites de FM. La concurrence devenait déloyale et les lobbies firent leur travail.
Ainsi, le 24 janvier 1985, elles gagnèrent le droit de fréquenter la partie haute de la bande, entre 104 et 107MHz (les militaires ayant cédé ce créneau), sans obligation de générer un programme différent de celui des grandes ondes, mais avec une contrainte théorique de « décrochages » locaux réguliers.
Cette décision nous ravit au plus haut point !
Car RMC, RTL et Europe 1 se devaient rapidement de créer leur réseau pour couvrir les grandes villes du pays. La course entre les trois stations se présentait de manière fort stimulante et ce fut l’occasion de renouer avec mes anciens employeurs.
Chaque station enfanta d’un département FM au sein de son service technique, chargé de rechercher des sites d’émission, de veiller à l’installation des émetteurs, puis de déployer des mini-studios de décrochage pour diffuser les informations locales. Ces majors disposaient déjà de locaux dans les grandes villes et il suffisait d’y poser un peu de matériel audio pour répondre au cahier des charges.
La concurrence était déjà rude et exacerbée depuis des décennies entre les trois périphériques. Et voilà qu’ils venaient d’obtenir le moyen de se distinguer sur la FM. Ce fut donc la course… au temps (qui serait le premier présent sur telle ou telle métropole ?), à la puissance (qui aurait le plus gros émetteur ?), à la communication (qui ferait la plus grosse fête pour annoncer son arrivée sur la FM à tel endroit ?).

Avec ces clients, ce qui était appréciable, c’est qu’ils avaient les moyens de leur ambition, disons même de leur folie… Car certaines dépenses auraient pu être évitées en examinant les situations de façon pragmatique et technique. Mais la raison et le bon sens n’étaient que des costumes de papier dès qu’il s’agissait de se frotter à ses concurrents.
Nous fûmes largement sollicités et l’entreprise dut embaucher pour satisfaire la forte demande en matériels et en prestations d’installation et de maintenance.
On plaça des émetteurs de grosses puissances (de 5 à 10kW) sur des sites improbables, comme des tours d’habitation idéalement placées sur le plan géographique mais absolument pas adaptées pour recevoir de tels équipements…
Il fallut bâtir, même hisser à l’aide de grues géantes des containers immenses au sommet de certaines tours de plus de quinze étages. Nous installâmes des pylônes autoportés supportant des réseaux sophistiqués d’antennes composées de panneaux couplés, afin d’obtenir des PAR (Puissance Apparente Rayonnée) de l’ordre de 50 à 100kW…
Ensuite, il fallait se battre avec les ambulanciers, les pompiers et les sociétés de transport qui ne parvenaient plus à communiquer via leur réseau privé de radiotéléphonie, ou parfois avec les habitants se plaignant d’images perturbées sur leur poste de télévision, tant le champ radiofréquence était élevé et saturait les antennes relais ou de réception TV, situées sur les immeubles proches. On étudia des filtres que l’on installa chez les victimes de cette course aux watts, aux frais de nos clients qui ne voulaient pas de problème « d’image » avec le grand public.

Durant l’année 85, la radio devint enfin la principale activité d’Auditem et le restera depuis ce jour. Afin de répondre aux situations parfois complexes d’adaptation des émetteurs de différentes factures, notre micro-bureau d’étude ne ménageait pas sa peine, au travers de solutions techniques appropriées.

Notre catalogue des accessoires Audemat s’étoffa sérieusement et donna naissance à des équipements plus complets comme des réémetteurs compacts ou des récepteurs de retransmission, issus d’assemblages de modules existants et interfacés à la mode radio FM.
Le chiffre d’affaires dégagé par les produits Audemat représentait presque vingt-cinq pour cent du CA total et je m’interrogeai sérieusement sur la stratégie à adopter : fallait-il basculer du statut de revendeur / installateur à celui d’industriel ?

Mi 86, les trois stations périphériques diffusaient leur programme respectif sur les principales villes de France. Ils s’attaquaient maintenant aux villes moyennes, l’objectif étant de couvrir à terme plus de quatre-vingts pour cent de la population. Sauf que la haute autorité ne distribuait pas facilement de nouvelles fréquences et que l’espace 104-107MHz atteignait ses limites.
Un travail de fond, qui devait porter ses fruits quelque temps plus tard, occupa les responsables des hautes sphères radiophoniques auprès de leurs homonymes dispersés au sein des ministères. Et la barrière finit par tomber, laissant la totalité du spectre 88MHz à 108MHz disponible à l’ensemble des stations, ce qui profita avantageusement au trio des larrons périphériques.
Je passais le plus clair de mon temps à Paris dans le triangle d’or.
J’appréciais ce regroupement géographique des frères ennemis des grandes ondes ! Je pouvais circuler de l’un à l’autre, parfois plusieurs fois dans la même journée.
Déjeuner avec le patron technique d’Europe 1, le thé avec celui de RTL et le dîner avec le copain de RMC en charge des achats. Une journée très optimisée, d’autant que les préoccupations des uns étaient souvent très proches de celles des autres.
Il fallait un peu d’habileté et de diplomatie pour éviter de répondre aux questions pressantes des directeurs techniques curieux de connaître les projets des deux maisons d’en face ! Mais je n’ai jamais cédé à la confidence ce qui me permit de garder la confiance et le respect de chacun.

Au cours de mes visites, je perçus comme une angoisse latente chez mes interlocuteurs. Ils s’inquiétaient de la fiabilité de la diffusion FM, de la stabilité de la zone de couverture, mais semblaient pour autant dans l’incapacité d’identifier précisément les causes réelles de leur stress. Certes, ils étaient en charge de nouveaux problèmes avec l’apparition de la FM, mais les équipes étaient solides et efficaces et les interrogations techniques assez rares. Alors pourquoi « baliser » de la sorte ?
Etant passé par la case « Adjoint au directeur technique d’une radio périphérique » je me mis à réfléchir aux origines possibles de ce constat.
A moins que le stress que je pouvais palper lors de nos conversations soit en fait « normal ». Je me souvenais avoir moi aussi vécu des périodes de surexcitation et d’angoisse professionnelles lorsque mon patron me mandatait pour une mission impossible, que je finissais par transformer en un acte technique tangible. Après tout, cela faisait partie de ce boulot de supporter les demandes farfelues ou inaccessibles du grand chef, en proposant des solutions rationnelles issues de compromis acceptables. Personne n’était dupe et le big boss savait parfaitement trotter sur la ligne blanche, sans jamais la déborder. Il gardait ainsi sa suprématie tout en se montrant « généreux » d’accepter une solution plus consensuelle. Nous étions dans le showbiz, ne jamais l’oublier !

Le tilt résonna dans ma tête un jour que je traînais dans la cabine de prise de son du journal de treize heures de la station de la rue Bayard, en plein direct...

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