Extrait 5 – Entreprendre

Chapitre 45 : vaches maigres

 

[Contexte : malgré mes multiples activités en free-lance, je succombai à la proposition de Radio Monte Carlo qui souhaitait remanier totalement ses studios parisiens. Un nouveau challenge très motivant !
Mais la situation de la station m'apparût rapidement des plus délicates.
Avec deux amis, nous rêvions de créer quelque chose. Entreprendre et, de préférence, ailleurs qu'à Paris, sous des horizons plus cléments.
Nous voici ainsi rendus à Bordeaux, tous les trois avec nos familles, avec l'ambition de conquérir la ville, la région, le pays, le monde. Mais la réalité...]

Réunion de pré-crise.
- On est à mi-chemin de nos économies. L’activité ne démarre pas malgré les efforts de communication et de prospection. Bientôt il va falloir commencer à payer le matériel ou bien le rendre. Ce serait très pénalisant pour nos démonstrations !, dis-je en ouverture.
- J’ai analysé nos devis et j’ai vu que certains clients sont montés sur Paris pour acheter exactement ce qu’on leur avait conseillé, mais probablement pas au même prix. Il faut agir sur les prix, sinon on va travailler gratos en conseil, poursuivit Jacques.
- OK, mais on s’est alignés sur les prix moyens. Regarde les pubs, on est cinq à six pour cent au-dessus, pas plus, repris-je.
- Oui, mais à Paris, il y a les prix affichés, puis après trois minutes de négo, ils lâchent dix ou quinze pour cent sur le total de la facture. Et là on est largués !, insista Jacques.
- T’as raison. Le marché de la sono c’est du show-biz ! Faut copiner et baisser la culotte. Tout ça parce qu’on ne sait pas se différencier des autres. Si on avait une valeur ajoutée unique, on les tiendrait. Faut chercher. Tu sais bien qu’on ne peut pas baisser les prix de vingt pour cent. Il ne resterait même pas de quoi payer le loyer, rétorquai-je.
- OK, mais faut réfléchir vite. En attendant on peut essayer de rattraper les devis en cours en baissant légèrement les tarifs, ça nous fera au moins un peu de trésorerie, proposa Jacques.
On acquiesça sur le compromis.
Puis nos épouses abordèrent l’aspect financier, car les cordons de la bourse du quotidien commençaient à se rétrécir sérieusement.
Il fallait un plan draconien pour rallonger la période d’autonomie avec le même budget. A partir de ce moment, nos femmes s’organisèrent superbement. Les repas prirent une autre allure, certes, mais nous avions la foi. Beurre rationné, pas d’alcool, des produits uniquement en promotion et saisonniers et quasi aucun écart à ces consignes.
Cette période nous changea la vie et nous fit redécouvrir l’envie. Ce fut extrêmement salutaire pour tous. Au lieu de sombrer dans des plaintes permanentes sur la perte totale de notre pouvoir d’achat en moins de quatre mois, nous rêvions d’une côte de bœuf, d’une soirée au restaurant. Nous faisions la fête lorsque Muriel ou Denise marquaient l’exception à la règle en ramenant un beau rôti à la maison. Une cohésion totale. Une motivation sans borne.
Dans l’échelle des moments de bonheur, cette période tient une place sur le podium.

A Auditem, nous n’avions pas épuisé le budget a priori réservé à constituer un stock de consommables, comme des bandes magnétiques, des cassettes, ou encore de la connectique de sonorisation et autres câbles.
On décida de réaffecter la somme à une page de publicité dans Sono, qui cartonnait auprès des orchestres et des sonorisateurs. L’ami Jean-Paul Poincignon me fit une belle fleur en obligeant son service commercial à nous octroyer une remise très significative et des conditions de paiement à quatre-vingt-dix jours de la parution.
On orienta la pub sur notre capacité à vendre mais surtout à installer et à aligner tout type de machine dans les règles de l’art de la profession. On poussa un peu le bouchon afin de bien marquer la différence avec l’ensemble des autres annonceurs qui axaient leur campagne publicitaire exclusivement sur les produits et les prix.
Parallèlement je fis du forcing auprès de mes anciens employeurs, RTL, RMC et tous les autres, pour signaler ma relative disponibilité pour des missions ponctuelles. Après tout, je pouvais remonter sur Paris quelques jours de temps à autre et facturer au nom d’Auditem, ça mettrait un peu… d’épinard. Pour le beurre, ce serait plus tard.
Quasi fin janvier, presque quatre mois après la création, on était toujours au point mort. Du léger stress, on passa en mode attention danger.
Muriel chercha et trouva du travail dans une PME locale.

Le grand Théâtre de Bordeaux que nous avions courtisé, commença à nous acheter régulièrement de la bande magnétique Agfa PER525, référence absolument inconnue si l’on ne travaillait pas dans un milieu radio. Puis, le régisseur nous fit aligner ses magnétophones ReVox B77. Jean-Luc en prit grand soin et y porta les astuces d’ajustage de la prémagnétisation, afin qu’ils sonnent comme des pros. Ce client, doté d’une bonne oreille, repéra assez vite la qualité de nos prestations et nous confia d’autres tâches de réglage et d’entretien. C’était encourageant, mais on restait très loin du point d’équilibre des comptes.

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© DTDPC - Daniel Werbrouck - 2019